MO YAN : LES TREIZE PAS

Publié le par David L'Epée

Pour quelques semaines, les dimanches du blog seront consacrés à la littérature – de Chine ou sur la Chine.

 

Je commence cette semaine avec Les Treize Pas, un roman de Mo Yan.

 

Ce roman, sorte de comédie noire, à la fois réaliste et assez fantaisiste, raconte le quotidien de deux familles de professeurs de lycée souffrant d’une mauvaise condition sociale et de divers problèmes relationnels. Un jour, un de ces professeurs s’évanouit en chaire ; considéré comme mort, on l’envoie à la morgue. Mais il est vivant, et comprend vite que ses supérieurs cherchent à le faire passer pour mort afin de faire de lui un martyre et d’attirer l’attention du gouvernement et de l’opinion publique sur la condition misérable des professeurs de lycée... Par solidarité professionnelle, il se prête au jeu.

 

Avec la complicité de l’esthéticienne de la morgue, qui est la femme de son voisin (l’autre professeur), il s’évade du funérarium et se réfugie chez ses bienfaiteurs. L’esthéticienne met alors à profit ses talents de chirurgienne esthétique pour échanger les visages des deux hommes et permettre au prétendu mort de reprendre son travail au lycée sous l’identité de son voisin, alors que son mari tenterait de faire fortune dans le commerce – ce à quoi sa femme l’a toujours poussé.

 

La situation se complique quand le gardien du zoo voisin découvre les infidélités conjugales de l’esthéticienne et menace de la dénoncer ; elle est obligée d’accepter un marché douteux : lui apporter  toutes les nuits les restes humains du funérarium pour nourrir ses deux petits du gardien, deux lionceaux nés d’un croisement étrange, qui ne veulent plus manger que de la chair humaine. En échange, l’esthéticienne et sa famille sont fournis à volonté en viande animale, denrée de plus en plus chère sur le marché.

 

Sur cette trame se tissent nombre de complications : la vieille mère paralysée de l’esthéticienne retrouve par miracle l’usage de ses jambes ; l’esthéticienne est chargée par le Parti de faire maigrir le cadavre de son ancien amant, un haut responsable politique, pour donner au peuple l’image d’une vie austère consacrée au devoir ; la femme du professeur “décédé”, métisse sino-russe, devient une haute responsable de la fabrique de boîtes de lapins dans laquelle elle travaille mais doit subir les avances de son voisin (en qui elle n’arrive pas à reconnaître son mari) qui semble n’avoir aucun respect pour son deuil ; l’ancien professeur lancé dans le commerce, incapable de faire fortune, se livre au trafic de cigarettes et finit arrêté par la police ; le gardien de zoo se suicide après le massacre de ses deux lionceaux par des trafiquants de fourrure – et au final tout finit dans un bain de sang à peu près pour tout le monde.

 

Mo Yan, qui a décidemment pris parti pour le négativisme et le refus de tout accomodement avec la société chinoise (on jugera cette attitude comme on voudra) livre une fois de plus, comme il l’avait déjà fait dans d’autres romans, le portrait d’individus veules, faibles, complexés et découragés. Là aussi, comme dans ses précédents livres, ce sont les femmes, figures matriarcales, autoritaires, viriles presque, qui les sauvent des situations les plus désespérées et qui font, à proprement parler, marcher la société. Je ne suis pas sûr qu’on puisse trouver ses romans en Chine...

 

Dans un registre plus classique et moins humoristique, je vous conseille le très bon Beaux Seins Belles Fesses (2004), toujours de Mo Yan, un roman-fleuve qui raconte l’histoire d’une famille d’un village traversée par les grands bouleversements du XXe siècle : de la résistance anti-japonaise au communisme en passant par la dictature du Kuomintang. Un très bon livre pour qui veut plonger dans la littérature chinoise contemporaine.

 

Je vous proposerai dimanche prochain un extrait des Treize Pas.

                                     Mo Yan, Les Treize Pas, Seuil, 1995, 410 pages

Publié dans littérature

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