« AU COEUR DE L’EMPIRE » : QU’EST-CE A DIRE ?

Publié le par David L'Epée

Au Coeur de l’Empire : un titre trouvé en urgence, en quelques minutes, lorsque je créais ce blog, pour être sûr que, techniquement, tout soit en place le jour de mon arrivée en Chine.

 

Un titre inexact en fait car, à proprement parler, la Chine n’est pas un empire, du moins pas à l’heure actuelle. Sa structure est celle d’un Etat-nation, et si on accorde foi au discours officiel, celui de l’ « émergence pacifique » et du respect des souverainetés (ce qu’on n’est pas obligé de faire), cela ne devrait pas changer avant longtemps. Si j’ai parlé, un peu maladroitement, d’empire, c’est dans un sens moins scientifique, moins polémique, pour évoquer l’image d’une grande puissance. La Chine n’envahira pas ses voisins, n’annexera aucun pays étranger, ses revendications territoriales se limiteront à ses propres provinces (le Tibet, Taïwan), mais il n’est pas impossible qu’après avoir abreuvé le monde entier de ses produits bon marché, elle commence aussi à diffuser ses idées, sa culture, sa langue – ce dernier cas de figure est déjà en train d’avoir lieu, comme en attestent la multiplication des instituts Confucius à travers le monde et l’engouement croissant un peu partout pour l’apprentissage du chinois. Cette influence doit-elle être associée à de l’impérialisme ? Je parlerais plutôt d’un retour de la multipolarité dans un monde trop longtemps placé sous l’hégémonisme unilatéral des Etats-Unis. J’ai beaucoup parlé sur ce blog des influences étrangères en Chine (que je considère, dans bien des cas, comme potentiellement dissolvantes), et très peu de l’inverse, de l’influence chinoise sur le monde. A présent que je suis sur le point de rentrer en Europe, j’aurai tout loisir d’observer ce phénomène – retour de manivelle de l’histoire.

 

Chroniques d’une année à Pékin, nouvelle capitale du monde : là aussi, l’intitulé est inexact, car j’ai eu la chance, à plusieurs reprises et parfois durant d’assez longues périodes, de quitter Pékin pour découvrir d’autres provinces : Tianjin, le Hebei, le Shandong, le Shanxi... Ma découverte des campagnes, notamment, a été un point fort de mes expériences. Pékin est-elle ou sera-t-elle la nouvelle capitale du monde ? Si, comme je l’espère, l’évolution du monde se fera dans les années à venir dans un sens multipolaire, le monde n’aura plus de capitale, mais plusieurs centres importants apparaîtront : Pékin sera l’un deux, assurément.

 

J’ai eu la chance, entre mes études, mes recherches, mes voyages et ma vie sociale, de pouvoir publier régulièrement des billets sur ce blog, sur les sujets aussi variés que la géopolitique, l’économie, la sociologie, la littérature, les médias ou encore le cinéma. Cela n’aura pas suffi, évidemment, tant ce pays vit dans une permanente effervescence. Courant d’un dossier à l’autre, d’un entretien à une visite, pour tenter d’écrire quelques mots sur les choses qui me paraissent importantes, je n’aurai souvent fait que les effleurer : le néo-protectionnisme, les relations diplomatiques, le contrôle médiatique, la crise nucléaire nord-coréenne, la CCPPC , l’insécurité, la croissance, la morale, l’art contemporain, les luttes souverainistes, la crise écologique, les grands anciens... Tout reste à dire.

 

Et puis il y a tout le reste. Toutes les pages de notes non publiées, les observations personnelles sur tout et sur rien, autant de matériaux pour un nouveau travail. J’ai l’intention, une fois rentré en Europe, de mettre à profit tout cela et de composer une sorte de livre, sous une forme encore indéterminée, et en me concentrant sur une ou deux lignes directrices [1].

Lorsque j’ai commencé à écrire sur la Chine , je n’ai jamais sciemment cherché à aller à contre-courant, je me suis contenté de conformer ma vision aux expériences que j’avais faites, aux connaissances que j’avais acquises, et à une certaine ligne stratégique. Cette ligne stratégique est ce qui distingue le pur intellectuel du penseur politique : le premier ne cherche que la vérité et dira tout ce qu’il sait, sans se préoccuper des conséquences ; le second, concentré avant tout sur la pratique, tourne sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler et sait évaluer les informations pertinentes et pesant les fins et les moyens. Je suis de la seconde catégorie, la plus pragmatique mais aussi la plus inconfortable, et pour pouvoir prendre la défense de la Chine dans certains contencieux internationaux, j’ai dû avaler bien des couleuvres.

 

La plupart des questions posées aujourd’hui sur la Chine sont des questions géopolitiques et elles n’impliquent pas que la Chine elle-même mais souvent l’équilibre mondial ; en tant qu’Européen, je ne peux pas y être insensible. Parler de la Chine , c’est aussi un peu parler de nous. Suggérer que c’est par la Chine que l’empire étasunien pourrait défaillir, c’est donner un peu d’espoir à l’Europe, à l’Afrique, à l’Asie, au sud de l’Amérique et à toutes les victimes de l’impérialisme et des néo-colonialismes. La vieille opposition communisme-capitalisme n’a plus sa place dans le monde actuel. De nouvelles guerres froides se préparent et sont déjà en cours, souterraines, mais les enjeux ne sont plus les mêmes.

 

C’est d’Asie que j’écris, et je n’oublie pas que la Chine n’a jamais été communiste au sens soviétique du terme – elle n’a non plus jamais été capitaliste au sens anglo-saxon. Le conflit communisme-capitalisme a été, en fin de compte, un conflit intra-occidental, décevant le rêve de Lénine d’une « lutte anti-impérialiste mondiale »[3], mais inspirant néanmoins en Asie (entre autres) des changements historiques conséquents, de la Chine au Vietnam en passant par la Corée , le Laos ou encore le Népal. L’URSS est tombée, mais en Asie, il est resté quelque chose, quelque chose d’essentiel, quelque chose qu’on ne peut pas appeler communisme, mais quelque chose qui sera déterminant pour l’histoire moderne. Cette chose, parfaitement incarnée par la Chine , et partagée par de nombreux pays du sud, cette chose qu’on trouve à la fois dans les nouvelles républiques socialistes d’Amérique latine, dans certains régimes islamistes, dans les nations opprimées du tiers-monde, et jusqu’en Russie même, cette chose, c’est la volonté de changement, l’espoir de voir le bout du tunnel, la haine des colons, des croisés et des missionnaires impériaux, l’aversion pour le système de pensée libéral, son arrogance et sa décadence, le désir d’en finir avec tout ça, de bouter les indésirables et de revenir sur le devant de la scène pour changer radicalement l’orientation du monde.

 

La nouvelle guerre froide verra s’affronter d’un côté les mondialistes néo-libéraux, avec les Etats-Unis à leur tête, et de l’autre les souverainistes du monde entier, les patriotes, les socialistes, les peuples fiers. Un monde aseptisé contre un monde enraciné ; des hommes de brume contre des hommes de chair. Voilà ce que j’ai appris en Chine et voilà ce qui m’a poussé à faire un certain nombre de concessions théoriques, dans le but d’accorder les moyens aux finalités et de ne pas embrouiller les esprits avec un purisme impromptu. Je poursuivrai sur cette voie et j’espère que ceux qui prendront conscience de ces enjeux primordiaux pour l’avenir seront de plus en plus nombreux.

 

Ceci n’est pas ma conclusion. J’ai encore quelques mots à dire avant de prendre le chemin du retour vers la mère patrie. Restez en ligne...

 

 

 

[1] D’ailleurs, s’il venait à passer sur ce blog un éditeur ou un mécène intéressé par mon projet, qu’il n’hésite pas à me contacter sur mon e-mail : david.lepee@unine.ch

 

[2] Par « soviétique », j’entends ici « relatif à l’URSS » et non pas soviétique au sens premier, car les soviets (conseils ouvriers, conseils de soldats, communes populaires, etc.) ont aussi existé en Chine où l’expérience a d’ailleurs été poussée beaucoup plus loin qu’en URSS.

 

[3] « En dernière analyse, le succès de notre combat sera déterminé par le fait que la Russie , la Chine , l’Inde, constituent l’écrasante majorité de la population du globe. » (Lénine)

Publié dans éditoriaux

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
V
Hey Dave!!!!<br /> Je savais pas que t'avais fait un blog!! C'est Weber qui m'a dit!!! T'écris toujours aussi....bien... enfin, jveux dire, tu réfléchis toujours autant quoi...lol<br /> La voix du peuple dans les fourrés bucoliques des jeunes rives est bien loin!!!! C'est des bons souvenirs qui restent. Je suis heureuse de voir ton évolution! ET je voulais juste te dire que j'avais été contente de te connaitre même si c'était un peu une période entre parenthèses.<br /> Jte souhaite un tout bon retour prochain...tu verras, la suisse ne change pas, mise à part le toit de la maladière qui se fait la malle!!! lol<br />  <br /> jte fais un grobécot! Et à une prochaine!<br /> veronique
Répondre
N
Salut!!<br /> Je tombe sur ton blog par hasard! beau travail et incroyable trip!! Jette un coup d'oeil au mien, je viens d'y mettre quelques photos de mon voyage humanitaire au togo...<br /> A bientot dans nos contrées et bonne fin de sejour.<br />                                                                 Noé<br />  <br />  <br />  
Répondre