LES FILMS DE FANTÔMES CHINOIS (II)

Publié le par David L'Epée

Pour trouver les origines du cinéma de fantômes chinois, il faut remonter assez loin dans le passé. Je n’ai certainement pas trouvé la première oeuvre de cette filmographie, mais je suis tombé, au hasard de mes recherches, sur un document très intéressant.

 

Le film dont je vais parler est un court-métrage d’une vingtaine de minutes daté de 1937 et intitulé Gui. Son réalisateur, Zhang Shilin, n’est pas un inconnu pour les amateurs de cinéma chinois. Il a notamment réalisé en 1948 l’Histoire Secrète de la Cour des Qing, et plus de vingt autres films entre les quarante et soixante. Il est par contre très difficile de savoir ce qu’il a fait à ses débuts, c’est-à-dire avant les années quarante car les sources sur cette période-là de son travail sont rares et lacunaires, et il n’est presque jamais fait mention de cet étrange court-métrage qu’est Gui.

 

Penchons-nous d’abord sur le titre. En chinois, Gui signifie « monstre » ou « fantôme » ; c’est ici le deuxième sens qu’il faut comprendre. L’histoire est très courte. Alors qu’une dame de maison est touchée par une grave maladie et qu’on craint qu’elle ne succombe, les voisins, inspirés par l’événement, débattent de l’existence des fantômes, partagés sur la question. On raconte qu’une femme s’était jadis pendue dans une maison du quartier. Toute retournée par ces discussions et ces doutes, l’héroïne, une jeune fille (jouée par Li Lili, que vous voyez sur les deux photos), rentre chez elle – justement dans la maison de la pendue – pour se coucher. Sa mère aurait déjà dû rentrer mais elle a été pris par une partie endiablée de mah-jong (jeu traditionnel chinois) avec ses amis et compte bien passer la nuit à jouer. Seule dans sa chambre, la jeune fille croit être attaquée par des fantômes. Cette courte scène est la plus aboutie au niveau de la mise en scène : photo très contrastée avec de larges zones noires, images fortes (un gros plan sur les yeux terrifiés de la fille se risquant au-dessus de la couverture, l’ombre d’un chat qui passe). L’héroïne tente de fuir et se retrouve nez-à-nez avec un de ses voisins, qui croit lui aussi à l’existence des fantômes et lui promet de la protéger. Très sûr de lui, il explique : « Les femmes sont yin et les hommes yang ; une yin, vivante ou morte, ne s’en prendra jamais à un yang. »

 

En retournant chez elle au petit matin, la mère trouve sa fille au lit, tétanisée par la peur. Par une superposition d’images sur la pellicule, le film nous montre qu’au lieu de voir sa mère penchée sur elle, la jeune fille voit le visage de ce qu’on pense être un fantôme. Mais étrangement, ce fantôme emprunte les traits du voisin... Pensant que sa fille a été ensorcelée par des fantômes, la mère va chercher des moines taoïstes pour l’exorciser. Il faut préciser que dans les films de fantômes chinois, les anciens comme les plus récents, les moines taoïstes jouent le même rôle que les prêtres exorcistes dans les films de fantômes occidentaux. Les moines entrent dans la chambre et commencent leur rituel quand la jeune fille bondit sur eux, en fureur, brandissant un sabre, et les chasse de chez elle en criant : « Il n’y a pas de fantôme ! Il n’y a jamais eu de fantôme ! C’est vous qui les inventez ! » Le film finit, subitement, sur cette scène énigmatique.

 

Le moins qu’on puisse dire, c’est que le sens de ce petit film n’est pas très clair. Pour tenter de saisir quelque chose, il faut essayer de s’imaginer comment on pouvait raconter une histoire dans les années trente en Chine. Ce qu’il faut comprendre en fait, c’est qu’il n’y a pas plus de fantôme dans ce film que de couleur sur la pellicule. Il s’agit, de toute évidence, d’un court-métrage « éducatif » visant à expliquer au peuple que les fantômes n’existent pas, qu’il s’agit de vieilles superstitions féodales et que ces légendes n’ont pour effet que d’engraisser les moines taoïstes et les charlatans de tous poils. Dans la discussion entre les voisins, on évoque également la réincarnation des fantômes, ce qui étend les attaques du réalisateur (ou du commanditaire) à la fois au taoïste et au bouddhisme. La dernière scène montre la prise de conscience de l’héroïne (la prise de conscience matérialiste bien sûr) et sa révolte contre les taoïstes, présentés finalement comme des hypocrites mentant au peuple. Voilà pour le côté idéologique.

 

Pour le côté narratif, il faut comprendre (je l’ai appris en lisant un commentaire à ce sujet sur Internet) que le drame de l’histoire, c’est que la jeune fille s’est faite violer par le voisin durant cette terrible nuit. Là encore, on nous montre que le criminel parvient à ses fins en faisant croire à l’héroïne qu’il la protégera des fantômes (selon une théorie philosophique plus que douteuse), c’est-à-dire en utilisant la superstition, qui se trouve condamnée une deuxième fois dans le film. L’hallucination que voit la jeune fille à son réveil n’est donc pas l’image d’un fantôme mais celle de son agresseur.

 

Ainsi, même si on ne le remarque pas du premier coup d’oeil, il ne s’agit de rien d’autre que d’un film de propagande, certainement d’origine communiste (quoique pas forcément) pour favoriser l’éveil des esprits aux conceptions progressistes de ce que sera la Chine nouvelle. Dans cette optique, on critique la mère qui n’était pas présente à la maison au moment où sa fille se faisait violer et qui a préféré fuir ses responsabilités dans le jeu (on la voit de plus fumer une cigarette, ce qui est lourd de sens). Rappelons qu’on luttait à l’époque contre le jeu, expression de la débauche, et l’oisiveté. Le message, à cet égard, est on ne peut plus clair. En ce qui concerne le flou de la narration et cette impression que le film ne se suffit pas à lui-même et qu’il réclame des éclairages extérieurs pour être compris, c’est un problème de contexte : nous ne sommes pas des spectateurs chinois de 1937, voilà. Aurait-il été possible, dans ce pays et à cette époque, de représenter un viol autrement que par un sous-entendu scénaristique un peu ambigu ? Certainement pas.

 

Pour un premier film de fantômes chinois, nous voilà donc ramenés – quoique soixante-dix ans plus tôt – à ce que nous expliquait Zang Bingjian lors du premier volet de notre réflexion : inutile de chercher des fantômes dans le cinéma chinois. Vraiment ? Pas si sûr. Dans le prochain volet de notre série cinéma, je m’engage à vous montrer de vrais fantômes chinois...

 

 

Zhu Shilin, le réalisateur

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