QUELQUES MOTS ENCORE SUR LES MILICES DE QUARTIER

Publié le par David L'Epée

Suite à quelques réactions de lecteurs à mon texte intitulé Mais où est donc Passée l’Insécurité ?, je voudrais revenir brièvement sur une institution que j’y avais évoqué, celle des milices de quartier. Je tiens à préciser que je ne me suis référé qu’à ma propre expérience de résident de Pékin pour en parler et que je n’ai pas fait de recherches approfondies sur la question. Je ne nie donc pas que malgré son apparence de discrétion, la police est tout de même bel et bien présente, notamment, comme me le signale un de mes lecteurs, au travers de la vidéosurveillance. Mais je maintiens que la différence entre une police discrète et une police s’exhibant dans les rues (renforçant par la même le sentiment d’insécurité et finissant par se rendre impopulaire), est une différence essentielle.

 

A André qui trouve que je devrais « prendre mes distances avec le monde politique chinois », je répondrais que j’ai très peu parlé de politique dans ce texte (préférant adopter une approche sociologique, voire civilisationnelle) et qu’en ce qui concerne le système chinois de surveillance policière, je me suis contenté de le décrire, sans prendre position. Pour le lecteur occidental moyen, cette simple description suffirait d’ailleurs à lui laisser une impression négative, car il est vrai que les idées de surveillance, de vigilance citoyenne, et plus encore de délation – « la délation dans toute son abjection » nous dit André – sont particulièrement impopulaires dans la sensibilité européenne. Qui est dans le juste ? Je préfère, une fois de plus, suspendre mon jugement.

 

J’ai retrouvé un texte du juriste Henri Isaïa, dans son livre La Justice en Chine (Economica, Paris, 1978), qui présente les attributions des comités de quartier. Il se réfère lui-même à des écrits d’Edgar Snow, le célèbre journaliste américain ayant longtemps vécu en Chine. Ces observations datent un peu mais, d’après ce que j’ai vu, le principe de ces comités de quartier est resté à peu près le même :

 

« Tout voyageur étranger qui se déplace en Chine a pu remarquer combien la présence de la force armée y était discrète. C’est que l’on se trouve dans une « société bien patrouillée – de l’intérieur ». Selon E. Snow, « il n’y a pas aujourd’hui un pays au monde dans lequel les gens soient plus enrégimentés, disciplinés, et les écarts de conduite publics plus rapidement rappelés à l’ordre par d’autres citoyens ». La défense de l’ordre public n’incombe pas seulement ou même essentiellement aux agents de la sécurité publique. Des « comités de sécurité du peuple » présidés par des cadres dirigeants y participent également.

 

Ces organismes fonctionnent sur les lieux de travail et d’habitation. Ils existent dans la plupart des unités de production et services administratifs (usine, brigade de production, bureau communal ou gouvernemental) ; dans les quartiers d’habitation, leur rôle est assumé par des comités de rue et de blocs d’immeubles.

 

Les comités de sécurité du peuple « maintiennent l’ordre, s’entremettent dans les discussions et sont même habilités à entreprendre à leur échelon des refontes de la pensée de certains individus. Ils aident à l’établissement du recensement et tiennent des dossiers sur chaque famille. Leurs fonctions ne sont pas secrètes mais électives. Leurs tâches quotidiennes sont humbles : vérifier l’hygiène, s’assurer de la propreté des rues, de l’état de santé des familles, de l’assiduité dans les écoles, et que les rations soient équitablement réparties ; ils aident au réglement des querelles domestiques, à la distribution des rations spéciales ou de combustibles aux nécessiteux. Comme la police, ils rendent des services à la société tout en la surveillant. »

 

Il n’est pas douteux que la direction des comités de sécurité du peuple soit assurée par des membres du Parti Communiste. Mais les représentants des masses populaires qui ont été désignés pour y siéger n’en sont pas moins des auxiliaires de police subalternes : ils sont chargés de surveiller, de prévenir les autorités de tout ce qui paraît suspect, de collaborer avec les services de la sécurité publique.

 

De toutes façons, chaque individu, même s’il n’est pas membre d’un comité de sécurité du peuple, se doit d’être vigilant en tout occasion. En Chine, dénoncer aux autorités une attitude ou une activité suspecte, loin d’apparaître comme une démarche douteuse, est au contraire une preuve de civisme ; car c’est un devoir de tout bon citoyen de veiller au maintien de l’ordre et au respect de la loi. »

 

(p.56-58)

 

La traductrice Françoise Naour, dans la préface d’une traduction française de l’écrivain Gan Xue (Dialogues en Paradis, p.23) en donne une vision plus personnelle et plus féroce :

 

« Ne quittons pas la maison avant d’avoir rencontré les voisins, les tout-puissants voisins.  S’ils ne sont pas dedans, ils sont juste derrière le mur, ou l’oreille collée à la porte, ou l’oeil écrasé à la vitre. Epier, dénoncer, telle est leur raison d’être là. Un bon comité de quartier – « les vieilles paricaridelles ramiellées et foruses, les sales coquillardes achactées à tout » dit Michaux – vaut les micros, les caméras les plus sophistiqués. Milliards d’yeux et d’oreilles, milliards de langues, disponibles presque en continu, police si bénévole, si diligente. [...] Ils arrivent en masse, comme un essaim d’abeilles, commentent, supputent, s’esclaffent... Voisins-Erynnies, voisins-mouches, mouchards, charognards. »

 

 

 

 

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