CA SENT SI BON LA FRANCE...

Publié le par David L'Epée

Hier, mardi 20 mars, était, comme vous le savez, la Journée Internationale de la Francophonie. La semaine passée, à Pékin comme dans de nombreux endroits du monde, avait lieu à cette occasion la Semaine de la Francophonie. Le Centre Culturel Français n’avait pas lésiné sur les moyens en proposant un programme riche et varié, de la rétrospective de films francophones aux conférences littéraires en passant par la projection de spots publicitaires et des expositions de photos. Les réjouissances étaient inaugurées vendredi dernier par un grand concert international de musique francophone, avec des artistes que je n’aurais jamais, pour certains, imaginé pouvoir voir si loin de chez eux. Il y avait notamment au programme, dans la catégorie hip-hop, Java, le fameux groupe parisien, et Big Red, le MC non moins connu du groupe Raggassonic. Le tout en entrée gratuite – dans la limite des places disponibles, comme il se doit.

 

Et voilà bien le problème : lorsque nous sommes arrivés, avec Yiqi, au guichet du Nhu Lounge, les billets avaient déjà tous été vendus. Confus d’avoir traversé la capitale pour rien et déçu quant à moi de ne pas pouvoir voir Java, dont je suis un auditeur de la première heure, nous sommes allés prendre un verre dans un café non loin de la salle de concert. Nous prenons un café, feuilletons la presse, n’ayant plus vraiment d’espoir de pouvoir revenir à la charge, lorsque, après une petite demie-heure, nous voyons entrer cinq individus étrangement vétus (par rapport aux modes pékinoises s’entend), au faciès aussi pâle que moi, et parlant également ma langue. Passé l’étonnement d’entendre parler français en ces lieux et de voir ces cinq leucodermes en bonnets dans un endroit si inattendu, je finis par les identifier. Les musiciens de Java !

 

Ils étaient tous là, le MC (chanteur), l’accordéoniste, le batteur, le « contrebassiste » (je le mets entre guillemets car sa contrebasse est un peu particulière) et le joueur de tam-tam ! Impossible de s’y tromper, j’avais vu leurs portraits plusieurs fois dans les fanzines et les revues spécialisées. Ne perdant pas le nord, je m’empresse d’engager la conversation, de faire quelques compliments d’usage et de les féliciter pour leur dernière reprise de Bobby Lapointe (une nouvelle version du Saucisson de Cheval, pour ceux qui connaissent).

 

« Et vous venez nous voir jouer à onze heures ? nous demande le batteur.

« On voudrait bien, mais il n’y a plus de billet...

« Qu’à cela ne tienne ! Rentrez avec nous, vous êtes nos invités. »

 

Et c’est ainsi qu’une fois nos cafés et bières respectifs avalés, nous sommes tous les sept entrés dans la grande salle du Nhu Lounge, passant triomphalement devant la guichetière acerbe qui nous avait barré le passage une heure auparavant. Nous sommes arrivés juste pour voir la fin du concert de Pascal Gemme, un colosse québécois au profil celtique qui faisait danser le public au son du violon sur des airs traditionnels. Après une courte pause, nous avons assisté à une performance un peu faiblarde du Belge Sacha Toorop (dont la moitié du répertoire était d’ailleurs en anglais, ce qui semble avoir échappé aux organisateurs de la soirée).

 

Puis Java est arrivé sur scène pour plus d’une heure et demie d’un concert exceptionnel. Ambiance parisienne, gouaille des faubourgs, casquettes de gavroche sur l’oreille, les cinq musiciens ont excellé dans ce style qu’ils sont les seuls à exploiter et qu’on appelle désormais le rap-musette. Entre le rythme très hip-hop de la batterie et les accords d’accordéon, ils ont recréé au coeur de Pékin l’ambiance festive des bals populaires parisiens d’antan. Au milieu du concert, entre deux pogos joyeux, ils ont invité tous les Français à apprendre aux Chinois présents dans le public à danser la musette ; c’est bien la première fois que je voyais une telle scène dans un concert de hip-hop !

 

Erwan, le chanteur du groupe, en plus d’être un poète hors pair maîtrisant à perfection les finesses de la langue française (notamment à travers de brillants jeux de mots), a cette verve bien française qu’on ne trouve que dans l’Hexagone, celle d’un Renaud (dont il a d’ailleurs un peu l’accent) ou d’un Boris Vian. Après leur célèbre chanson Métro, qui fait se glisser dans chaque vers le nom d’une station de métro parisienne, ils ont enchaîné avec une chanson burlesque sur Dieu dans laquelle, se riant de toutes les fatwas, ils ont fait participer sur scène... Dieu lui-même, sous la forme d’un ogre en robe à la blanche barbe fleurie...

 

Je ne saurais trop vous conseiller l’écoute de Java, à travers leurs deux albums Hawaï et Safari Croisière, ou Radio Cortex, le solo de Erwan, dans lequel, entre autres perles, on trouve une réécriture toujours argotique mais réactualisée du Laisse Béton de Renaud (réintitulé Lâche l’Affaire). Il existe également un enregistrement en live d’un de leurs concerts que vous pourrez trouver sous le titre très programmatique de Sexe, Accordéon et Alcool. Du bon hip-hop qui – une fois n’est pas coutume – ne vient pas de la banlieue mais des faubourgs de la capitale. Un style résolument français qui sonne comme la réconciliation populaire et dansante des Gaulois de Paris et des Céfrans de Paname (pour reprendre une expression chère à nos amis de Salut Public). Avec de tels artistes, la chanson française à textes a encore de beaux jours devant elle : espérons qu’elle ne se fasse jamais déborder par la pop aseptisée et cosmopolite des labels internationaux et qu’elle reste cette création si particulière de troubadours sachant allier l’érudition de nos belle lettres avec la tchatche et l’esprit des classes populaires.

 

Le dernier concert, celui de Big Red, accompagné dans sa prestation par DJ Silence, était d’un tout autre ton, orienté plutôt drum’n bass mais toujours très inspiré du dance hall ragga ; de quoi danser encore une bonne heure avant de rentrer. Une très bonne soirée en somme. Merci au Centre Culturel Français pour ces réjouissances et pour faire vivre notre belle langue française, dans une ville où elle semble d’ailleurs devenir de plus en plus appréciée.

Publié dans musique

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