MUTTI : L’ELOGE DU PAYSAN CHINOIS

Publié le par David L'Epée

                                                   Alexandre Douguine et Claudio Mutti

 

Décidemment, on trouve pas mal de sinologues intéressants chez les Italiens ! Après notre série sur Maria-Antonietta Macciocchi, une des premières visiteuses de la Chine nouvelle après la Révolution culturelle, je vous propose un texte d’un auteur bien moins connu, Claudio Mutti. Ceux qui connaissent pourtant son nom l’associeront certainement à son travail très polémique sur le rapprochement entre l’Islam (il s’était lui-même converti) et les nationalismes européens ainsi qu’aux documents très controversés qu’il a pu faire publier en Italie. Mais dans ce texte (« Quaderni del Veltro », Bologne, 1973), il s’agit de bien autre chose :  il propose à ses lecteurs une réflexion remarquable et pour le moins déroutante sur la Révolution chinoise.

 

J’omets de publier la première partie du texte, un peu laborieuse à lire pour des esprits non initiés aux philosophies orientales, et qui pourrait même paraître mystique. Pour la résumer, Mutti explique comment la théorie des contradictions développée par Mao Zedong ne doit pas qu’à la seule dialectique marxiste mais puise aussi son origine dans le taoïsme, pensée héritée du philosophe Lao Zi. La Révolution chinoise est chinoise avant d’être marxiste, et l’auteur démontre avec érudition comment des formes de pensées chinoises traditionnelles parmi les plus ancestrales ont pu influencer l’application théorique du communisme en Chine. Il va même jusqu’à analyser des chants révolutionnaires (tels que le célèbre  « L’Orient est Rouge ») pour mettre en exergue le rapport dialectique entre ces paroles de propagande et la symbolique taoïste du Soleil.

 

Je n’entrerai pas plus loin dans les détails, mais il clôt son propos en écrivant :

 

« La caractéristique solaire qui est attribuée avec insistance au rôle de Mao Zedong conduit à penser que le maoïsme est l’apparition contemporaine de la tradition impériale chinoise. »

 

Le texte qui suit, et qui analyse le maoïsme à l’aune d’inspirations non marxistes, n’est pas seulement extrêmement original ; il porte en lui une charge explosive. Il s’articule autour de quatre  points, dont je publierai aujourd’hui les deux premiers (les deux suivants suivront dimanche prochain) :

 

-          le volontarisme dans la pensée de Mao, qui redonne à l’homme la liberté individuelle que le marxisme classique avait confiné dans le déterminisme matérialiste ;

-          le rôle de la paysannerie et plus spécialement du soldat-paysan dans la Révolution  ;

-          la vision guerrière que cette idéologie suppose ;

-          la définition maoïste de l’art, version chinoise du réalisme-socialiste dont nous avons déjà parlé plusieurs fois sur ce blog.

 

Dernièrement encore, ce texte de Mutti a attiré les foudres des pseudo-maos autoproclamés du PCMLM qui y voyaient un brûlot réactionnaire. Oser comparer la vision chinoise du soldat-paysan à sa vision allemande !  Citer l’ôdieux Spengler à témoin ! Placer le paysan au même rang que le prolétaire des villes ! Prétendre que l’action des hommes échappe au déterminisme de classe ! Réhabiliter Lin Piao, l’infâme contre-révolutionnaire ! Et encore aller chercher Platon, l’innommable philosophe de l’idéalisme ! Autant d’insolences que nos nouveaux petits gardes rouges, dans leur étroitesse d’esprit, ne sauraient tolérer. Mais qu’importe, l’histoire passera sans les voir et continuera de se faire sans eux.

 

Je vous laisse savourer ce texte et vous invite à prendre le temps de le lire attentivement et d’y réfléchir car c’est un apport assez inédit à la sinologie (et à la pensée tout court). N’hésitez pas non plus à laisser des commentaires !

 


VOLONTARISME  


Le maoïsme offre une réinterprétation des forces agissantes dans l’histoire. Mao réaffirme l’importance des idées dans le développement historique : « Les idées justes sont propres à l’avant-garde du peuple, par laquelle elles pénètrent dans les masses, elles sont une force matérielle capable de transformer la société et le monde. » Alors que dans l’analyse marxiste, le rôle attribué aux forces matérielles est prépondérant, la pensée de Mao rétablit l’homme comme facteur décisif : « Il est suffisant que des hommes existent, pour accomplir une fin quelconque. La Révolution peut tout changer. » D’où la formulation des quatre priorités :

 

-          de l’homme sur le fait matériel

-          du travail politique sur les autres activités

-          de la doctrine sur le travail politique

-          des idées vivantes sur les idées des littéraires.

 

Nous nous trouvons devant l’image d’un idéalisme volontariste, d’où est exclu tout déterminisme de caractère laïque ou marxiste. Le maoïsme met l’homme à sa juste place : sujet de l’histoire, non objet d’une Histoire superstitieusement finaliste. Cet idéalisme volontariste est à la base de la Révolution culturelle : « La Révolution culturelle a pour but la révolutionnarisation de la pensée de l’homme. » C’est l’homme le facteur décisif, non l’économie : il ne suffit pas d’insister sur celle-ci, il faut agir sur celui-là. De la même manière, Corneliu Codreanu proposait la « réforme de l’homme » : « Ce pays va vers la ruine par manque d’hommes, non par manque de programmes. C’est notre conviction. Nous ne devons pas créer d’autres programmes, mais d’autres hommes, des hommes nouveaux. » Mais l’analogie entre les doctrines de Codreanu et de Mao sera plus évidente quand nous observerons l’importance que revêt le paysan dans le nouvel ordre maoïste.

 


LA PAYSANNERIE

 

L’importance de la paysannerie et l’antithèse entre campagne et ville sont des éléments centraux dans la conception maoïste de l’Etat, des éléments qui en Europe ont constitué les fondements des théories rurales d’Oswald Spengler, Walther Darré, Karl Dyrssen, Ferenc Szálasi, etc., dans lesquelles la Bauerntum [paysannerie] fidèle à la terre était vue comme la source de la force la plus saine du sang et du Volk. La conception paysanne de Mao et de Lin Piao connaît, en termes analogues, l’opposition entre le bourgeois, le « nouveau nomade », « l’homme infécond » – protagoniste de la « Zivilisation », phase terminale, crépusculaire de chaque cycle – et la figure antidémocratique du paysan, « principe et source inépuisable du sang qui crée l’histoire mondiale ».

 

Dans le nouvel ordre maoïste on observe de nouveau les prophéties hérétiques qui ont vu dans le bolchevisme le régime élu des soldats-paysans, avec lequel l’Allemagne, revenue à ses traditions socialistes et paysannes, aurait pu faire front commun contre l’Occident mercantiliste. Lin Piao écrit : « La guerre de résistance contre le Japon fut essentiellement une guerre révolutionnaire des paysans guidés par notre Parti... Prendre position parmi les paysans, créer les bases rurales et se servir des campagnes pour attaquer ultérieurement les villes : ce fut le chemin qui conduisit la Révolution chinoise à la victoire. ». A cette théorie de la création des bases révolutionnaires dans les zones rurales et de leur rapprochement progressif des villes, Lin Piao attribue une valeur universelle : « Nous gagnerons tout le globe terrestre de cette manière. Si l’Amérique du Nord et l’Europe Occidentale peuvent être considérées comme la ‘ville’, l’Asie, l’Afrique et l’Amérique Latine représentent ses ‘zones rurales’. Après la Seconde Guerre Mondiale, le mouvement révolutionnaire du prolétariat dans les pays capitalistes d’Amérique du Nord et d’Europe, pour diverses raisons, a perdu son chemin, tandis que les mouvements révolutionnaires des peuples d’Asie, d’Afrique et d’Amérique Latine ont connu un développement vigoureux. En un certain sens, la révolution du monde contemporain est un encerclement des villes par les campagnes. »

 

Ferenc Szalasi, le chef des Croix Fléchées hongaristes, invoquait une insurrection anti-ploutocratique des nations d’économie agricole contre la puissance industrielle d’Europe et d’Amérique du Nord. Dans cette « distance aristocratique et lutte existentielle contre la bourgeoisie citadine » réside l’opposition entre la société basée sur la fidélité à la terre des ancêtres et la civilisation cosmopolite, entre le sens de la lignée et l’abâtardissement démocratique. Les intellectuels bourgeois considèrent avec horreur cette réalité.

Publié dans littérature

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