DES FEUX A TOUS LES CARREFOURS

Publié le par David L'Epée

Me voilà revenu à Dezhou pour quelques jours après avoir passé le Nouvel-An à Tianjin. Nous allons aujourd’hui assister aux fiançailles du cousin de Yiqi, ensuite de quoi, d’ici la fin de la semaine, nous retournerons à Pékin où des examens m’attendent.

 

A tous mes amis pyromanes, amateurs de pyrotechnique et terroristes en tous gens (ils sont nombreux), je ne conseillerais jamais assez de venir assister, au moins une fois dans leur vie, à un Nouvel-An chinois. Ce que vos communes respectives ont pu déployer de spectacles sons et lumière et de « belles bleues », le 1er Août ou le 14 Juillet, n’est rien ; ici, chaque famille en fait autant que chaque commune dans nos contrées. Les explosifs en tous genres se vendent partout, à même la rue, bon marché, et la Chine est le pays d’origine des feux d’artifice.

 

D’ailleurs, vu l’ancienneté de la pratique, il ne s’agit pas que d’un simple spectacle ou d’un simple divertissement : on trouve également dans cette pratique un sens traditionnel très fort. Ainsi, les Chinois ont l’habitude de faire sauter, les unes après les autres, d’énormes bandes rouges de pétards reliés les uns aux autres, provoquant des détonnations épileptiques de plusieurs minutes d’affilée, accompagnées d’une fumée épaisse et d’un volume sonore à peine supportable. S’ils le font, ce n’est pas uniquement pour s’amuser ou exprimer leur joie, mais aussi pour repousser une sorte de démon qu’il ne faut, si j’ai bien compris, absolument pas laisser entrer dans la ville, sous peine de désaggréments insupportables. Peut-être symbolise-t-il l’hiver (car le Nouvel-An chinois s’appelle aussi Fête du Printemps bien qu’il ait lieu en février), un peu comme dans le carnaval catholique ? Je ne sais pas, mais je me suis laissé dire que ce démon était encore bien plus redoutable. C’est d’ailleurs pour faire plaisir à la grand-mère de Yiqi, qui était allitée ce soir-là et fort inquiète au sujet de cette détestable créature, que nous avons nous aussi mis le feu à quelques explosifs rituels devant la maison.

 

Le lendemain, un chauffeur de taxi nous a dit que la voirie de Tianjin avait récolté, dans toute la ville, 2000 tonnes de déchets d’explosifs divers, pétards, épaves de fusées, ruines de vésuves, cendres, etc. Cela peut paraître considérable, mais sachant que la population de Tianjin s’élève environ à dix millions d’habitants, cela nous fait une moyenne très raisonnable de 100 grammes de déchets par tête de citoyen. Et comme le Nouvel-An est une fête familiale regroupant en moyenne trois générations et que la cellule familiale moyenne doit être de cinq personnes (deux grands-parents, deux parents et un enfant unique), on peut en déduire que la consommation par famille (la mise à feu étant en général assurée par les mâles à l’exception des enfants trop jeunes et des aïeux trop âgés) s’élève en moyenne à 500 grammes de déchets pyrotechniques. En considérant que la proportion de mâles dominants (c’est-à-dire préposés à la mise à feu) étant en moyenne de 1,5 à 2 par famille (moyenne un peu tirée vers le haut car je minimise le nombre de familles où l’enfant unique est une fille), on en conclura que le premier chiffre énoncé sur la consommation par tête de citoyen (100 grammes) doit être revu à la hausse, ce qui nous amène à une moyenne de 250 grammes (maximum), soit environ un kilo pour quatre mâles dominants, répartis au moins sur deux familles. Le nombre des pyromanes, quoique proportionnel au nombre de citoyens de Tianjin, n’est donc pourtant en aucun cas égal : pour les dix millions d’habitants invoqués, on ne trouve en moyenne que quatre millions de pyromanes – et encore, je vois les choses en grand, d’autant que la cellule familiale type (cinq personnes) que j’ai posée à la base de cette équation est moins une moyenne absolue qu’un plus petit dénominateur commun. J’ajoute que si la ville de Tianjin n’était composée que de mâles dominants et préposés à l’allumage des feux d’artifice (ce qui poserait tout de même quelques problèmes pour la reproduction de l’espèce), ce n’est pas 2000 tonnes de déchets pyrotechniques que la voirie aurait comptabilisé, mais bien au moins 5000 tonnes ! Cela devrait nous permettre, je pense, de trouver l’âge du capitaine.

 

Une autre tradition qu’ont les Chinois, le soir du Nouvel-An et les soirs qui précèdent, consiste à allumer des feux sur la rue et à y brûler de faux billets de banques. Il s’agit par ce rituel, chaque année à la même période, d’honorer ses morts ; on allume un feu en leur mémoire et le papier-monnaie (prévu spécialement à cet effet) qu’on brûle doit parvenir aux défunts, qui auront ainsi quelques espèces sonnantes et trébuchantes pour assurer leurs arrières dans l’au-delà. Même dans le domaine spirituel, il y a quelque chose de profondément matérialiste dans la pensée chinoise, notamment dans le rapport à l’argent ; j’y reviendrai dans un autre article. Ces feux sont allumés de préférence au bord des routes, dans les carrefours, afin que la fumée soit susceptible de se diffuser aux quatre points cardinaux, augmentant ainsi les chances d’arriver à bonne destination. Le spectacle de ces feux en plein milieu du trafic est assez étrange, et il l’est plus encore au mileu des feux d’artifice, présentant au spectateur un mélange inattendu de deuil et de célébration festive. C’est ce rituel que j’ai fixé sur les quelques photos présentées ici.

                                         

Publié dans mon quotidien

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article